CPTAQ: des EX de Bellechasse en beau fusil

MUNICIPAL. Décidemment, l’orientation préliminaire de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) de rejeter presqu’entièrement les récentes demandes des municipalités de Bellechasse fait l’unanimité. Tous déplorent la décision.

Maintenant, ce sont d’anciens maires qui font valoir leur mécontentement. Gilles Nadeau, Yvon Bruneau et Benoit Tanguay étaient membres du Comité consultatif agricole de la MRC jusqu’à la dernière élection provinciale et ont travaillé plusieurs heures sur la demande. Les trois étaient à la rencontre de mars 2017 où les commissaires ont entendu à la fois leur présentation, mais aussi les remarques de l’UPA locale et les justifications entourant les demandes. Leur réaction est parfois très incisive.

L’ex-maire de Saint-Vallier, Benoit Tanguay, se fait très cinglant et n’accepte véritablement pas les observations de la Commission. «Leurs conclusions sont tout à fait illogiques. Ils reprennent des arguments que l’on avait avancés et en tirent des conclusions totalement stupides et ignorent l’essentiel. Prendre deux ans pour en arriver à ça, c’est une insulte à notre intelligence. Ils auraient dû nous envoyer une lettre à ce moment-là nous disant qu’on ne pouvait pas se développer, point final. Ça aurait été moins insultant que maintenant.»

«Les commissaires nous avaient dit que ça prenait l’acceptation de l’UPA», se souvient Gilles Nadeau de Saint-Gervais. «Nous avions négocié au préalable. On s’entend avec l’UPA, on fait tout ce qu’ils demandent, puis ils scrappent tout», se désole-t-il.

Gilles Nadeau rappelle que la MRC de Bellechasse doit remettre à jour son schéma d’aménagement et que la commission jugeait pertinente l’opération commune des municipalités. «On nous avait dit que c’était préférable d’aller sur un horizon plus long, sur 10 ou 15 ans, pour éviter d’y aller graine à graine et permettre à tout le monde de sauver du temps. C’est exactement ce que l’on a fait», a-t-il indiqué.

Les villes vs la ruralité

Yvon Bruneau remarque que sa municipalité et celle de Beaumont sont pénalisées puisqu’elles font partie de la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec. «Nous projetions un développement de 52 hectares à Saint-Henri sur un horizon de 15 ans, compte tenu du développement que l’on connaissait depuis 5 ans. Nous avions réduit nos demandes à 30 hectares pour être raisonnables. On voit la réponse. Pour eux, il faut concentrer le développement à Québec et Lévis avant de pouvoir développer chez nous».

L’incohérence de la loi sur la protection du territoire agricole serait en grande partie responsable de la situation selon Benoit Tanguay qui ne retient pas l’argument des politiciens que la CPTAQ est un tribunal à part. «Ce sont les MRC qui ont la responsabilité du développement du territoire. On se retrouve avec une situation où l’UPA a droit de véto ou presque. Une autre incohérence vient du fait que la plupart de nos entreprises ont des affiches inscrites: Nous embauchons! On manque de gens et nous n’avons pas de place pour les loger. Ils nous parlent de développement durable alors que les travailleurs ne peuvent se loger près de nos entreprises.»

Gilles Nadeau ajoute qu’il a l’impression de se faire contrôler par les villes. «On émet des avis en privilégiant la RMR d’abord. Si elle se mêle de nos affaires, il y a aussi la Communauté métropolitaine de Québec qui est interpelé. Pourquoi ces entités doivent se prononcer? Est-ce qu’on peut s’occuper de nos affaires et être maîtres chez nous? Il faut que ces articles de loi disparaissent.»

Yvon Bruneau remarque quant à lui une incohérence dans le traitement offert aux municipalités rurales. «Lesquelles de nos infrastructures sont payées à 100 % par les gouvernements? On a récemment annoncé le tramway à Québec financé entièrement par les gouvernements. Jamais on a ça nous et souvent quand on veut agrandir nos périmètres urbains, on n’a aucune aide. Les villes obtiennent tout ce qu’elles veulent et ne payent rien.»

Benoit Tanguay avait des chiffres pour illustrer cette iniquité. «Quand je vois l’argent qui s’en va à Montréal et à Québec, est-ce qu’ils ont vraiment besoin de ça. Ils sont en train de nous saigner pour étoffer Montréal et Québec. Les régions rurales du Québec contribuent pour 30 % du PIB de la province et on représente 20 % de la population. Qui paye pour qui?, et on nous empêche de nous développer en plus.»

Un modèle à revoir

Les trois maires sortants s’entendent pour dire que la loi sur la protection du territoire agricole doit être revue. Pour un, Yvon Bruneau estime qu’elle a déjà eu sa raison d’être. «À une époque, on ouvrait des rues n’importe où et n’importe comment. On pourrait aujourd’hui avoir des règles pour seulement encadrer certaines choses et laisser le vrai pouvoir aux MRC.»

Le gouvernement provincial a besoin de mettre ses culottes et a des décisions à prendre sur l’avenir de l’agriculture au Québec, clame M. Tanguay. «Qui est responsable de l’occupation du territoire. Si ce sont les MRC, qu’on nous donne les coudées franches. Je ne perçois pas de nos élus provinciaux une compréhension de ces enjeux et cette volonté de les porter.»

Il s’inquiète par ailleurs de l’avenir de l’industrie laitière, en particulier, si la tendance actuelle se poursuit. «Si on recule de 30 ans, il y avait beaucoup plus de fermes, mais elles étaient plus petites. À Saint-Vallier uniquement, il y en avait 90 et nous sommes à environ 20. Les fermes seront de plus en plus grosses et elles demanderont continuellement du terrain pour opérer. Ils ne veulent pas que l’on empiète sur les terres agricoles, mais ils empiètent sérieusement sur notre espace urbain. Qu’arrivera-t-il quand ils ne seront qu’une quinzaine? Ce sera une perte de services de proximité.»

Yvon Bruneau aimerait voir la petite agriculture être davantage considérée et soutenue. «L’approche de la CPTAQ d’éviter le morcellement à tout prix permet aux gros d’acheter toutes les terres et va à l’encontre de ce type d’agriculture et des petites entités. Le gouvernement favorise ces agriculteurs. Ils achètent des terres et ont des rabais de taxes à 90 ou 100 %. Il n’y a pas de place pour les petits.»

Le monde de l’agriculture aurait aussi avantage à se discipliner éventuellement, estime Gilles Nadeau qui observe une certaine iniquité entre la réalité de ce milieu et celle des municipalités. «On nous demande de le faire pour préserver le territoire agricole, sauf qu’on a vu dans le passé des entreprises construire des bâtiments sur de belles terres plutôt que d’utiliser des espaces en friche. On demande des espaces pour nos villages et on nous refuse, pendant que certains ont des terrains de golf autour de leur propriété.»

Benoit Tanguay avait aussi son mot à dire sur le sujet. «On l’a fait l’exercice chez nous à Saint-Vallier, la zone verte occupe 99,2 % de l’ensemble du territoire. On a une petite zone urbaine qui représente moins de 1 % de l’ensemble et ce petit territoire contribue pour 69 % des revenus de la municipalité. Les dépenses des municipalités rurales augmentent de 4 % par année. On augmente les taxes d’environ 1 % pour ne pas se casser la gueule. Il faudra un jour faire face à cette réalité.»

Visiblement irrités par les récents événements, les trois hommes souhaitent maintenant que leurs successeurs exercent une pression énorme auprès des élus provinciaux pour, à tout le moins, que des changements à la loi soient rapidement effectués pour qu’elle ne donne que des balises à suivre. L’approche d’une élection provinciale est une opportunité selon eux.