Doit-on fermer des villages ?
MUNICIPAL. Le vieillissement de la population rend vulnérables la plupart des petites municipalités du Québec, particulièrement en région.
Une nouvelle parue dans le Journal de Québec et le Journal de Montréal au cours du week-end, à l’effet que plusieurs municipalités seraient en danger de fermeture selon un expert, fait réagir plusieurs élus et dirigeants depuis le début de la semaine.
Appelé à commenter l’économie du Québec sous l’angle de la vitalité économique, le président de la firme de consultants Groupe Ambition de Châteauguay, Pierre Bernier, avoue ne pas être surpris des réactions. Il se base sur l’Indice de vitalité économique 2016, produit par l’Institut de la statistique du Québec, pour étayer ses propos.
Le tableau présenté par le journal, qui inclut Saint-Magloire, Sainte-Sabine, Disraëli et Saint-Fabien-de-Panet pour la région Chaudière-Appalaches, est toutefois incomplet, indique M. Bernier qui croit que celui-ci a été publié de manière aléatoire. Il ajoute sans hésiter des localités comme Saint-Luc, Saint-Just, Saint-Cyprien et Saint-Camille. «On parle surtout de localités de moins de 600 – 700 personnes. Il faut aussi considérer l’âge médian et le facteur de remplacement pour avoir un portrait plus juste.»
M. Bernier s’attend à ce que la pénurie de main-d’œuvre se poursuive un certain temps dans la région et prévoit aussi un bon nombre de fusions ou d’acquisitions, de fermeture ou de bris de services. «Chaudière-Appalaches a un indice qui indique sommairement que 66 personnes sont disponibles pour remplacer 100 personnes sur le marché du travail à l’heure actuelle, et ce nombre va demeurer à peu près stable jusqu’en 2025-2028 environ. Peu de relève disponible amène ce genre de choses et des réflexions sur comment renforcer des communautés.»
Selon lui, certaines petites municipalités à 10 ou 15 kilomètres d’une ville centre pourraient en bénéficier à moyen terme. En contrepartie, pour celles un peu plus éloignées, il sera difficile de les maintenir artificiellement viables si l’intensité économique est faible. Pierre Bernier estime alors que plusieurs personnes ne sont pas intéressées à entendre des mauvaises nouvelles, préférant vivre dans le déni.
«Lorsque cela se produit, on a généralement tendance à les éliminer ou chercher à prouver que l’autre a tort. Les données sont toutefois des faits. Quand l’âge moyen d’une communauté est de 58 ans, les investisseurs ne sont pas intéressés à s’y installer. Il n’y a pas de croissance, pas de relève. Graduellement ça s’éteint, les gens se déplacent, il n’y a pas d’acheteur pour les résidences et ainsi de suite», illustre-t-il.
Regroupements forcés ?
Le Québec a une économie somme toute positive, mais c’est un grand territoire, observe M. Bernier qui réitère que la province n’a pas les moyens de maintenir des communautés qui n’ont pas d’avenir et qui contribuent à son essor économique. «Jamais le Québec n’aura fait face à autant de défis en même temps. Nous aurons collectivement des décisions à prendre. Avec le vieillissement de la population, peut-être que 60 à 70 % du budget sera un jour consacré à la santé. Il restera peu d’argent pour le reste et déjà on observe des ratés dans la santé, sur nos routes, et autres. Le déclin est commencé à certains endroits.»
Il ajoute que ce sont les leaders socio-économiques qui auront le fardeau de prendre des décisions pour renforcer l’économie de leur région. «Comment mettront-ils en valeur la ville centre au détriment des petites municipalités. Ensuite ce sont les guerres de clochers qui commenceront, ce qui n’est pas sain. Peut-être que le gouvernement devra forcer certains regroupements de municipalités et/ou de services.»
Il a déjà une opinion sur les problèmes vécus par les commerces et services dans les petites localités. Les communautés ne sont pas au bout de leur peine à son avis et se doivent de réagir rapidement. «Les petits commerces dans les communautés ont déjà de la difficulté à survivre en raison de l’exode vers les grands centres. Au lieu d’avoir 20 garages dans une région il y en aura 10. Plutôt que six stations-services, ce sera deux et même chose pour les pharmacies. Nous n’avons pas d’expérience sur comment gérer le Québec avec peu de population.»
Pierre Bernier ajoute que plus les communautés tarderont à réagir, plus elles deviendront vulnérables. «Ça fait longtemps qu’on parle de la situation démographique du Québec et que l’on fait des colloques là-dessus, des rencontres et d’autres rencontres. Pourtant, on le sait que cela s’en vient. Les milieux devront apprendre à se prendre en main et gérer des risques associés à de l’inconnu alors que le défi du futur en est un de temps.»
En terminant, M. Bernier estime qu’une nouvelle ère est arrivée. «Dans le passé, on pensait que l’abondance était illimitée. Maintenant, on entre dans une ère de rareté financière, de main-d’œuvre, de ressources et autres. Ne pensons plus croissance, pensons pérennité. Tout cela nécessitera une prise de conscience de tous et devra impliquer tout le monde.»
De fortes réactions
Sans vouloir contredire les observations de Pierre Bernier, le préfet de la MRC des Etchemins, Richard Couët, estime qu’elles méritent d’être nuancées. «Il a possiblement raison sur les chiffres, mais il ne tient pas compte des efforts qui sont faits à la fois par les municipalités et les citoyens. Saint-Magloire et Sainte-Sabine sont des petites municipalités, c’est vrai, mais il ne tient pas compte de la dynamique dans ces milieux-là. C’est un peu n’importe quoi.»
Le nouveau maire de Sainte-Sabine, Simon C. Tanguay, n’a pas apprécié la teneur de l’étude réalisée par Pierre Bernier qu’il invite «à sortir de ses livres, lâcher ses crayons et se promener dans les régions du Québec afin de visiter chacune des municipalités qu’il a cité de façon gratuite, simplement parce qu’elles sont considérées, dans les livres, comme étant dévitalisées.»
M. Tanguay reconnaît que les petites localités comme la sienne ont des défis, notamment avec une population qui est vieillissante. «Ce n’est pas toujours facile économiquement non plus, c’est vrai, mais nous sommes positifs et dynamiques, constamment à la recherche de nouveaux moyens et de projets pour assurer notre développement. J’invite M. Bernier à venir rencontrer les élus et notre comité de développement pour voir tout le travail qui se fait depuis quelques années chez nous», poursuit l’élu.
Bien qu’il ne faille pas, selon lui, donner trop d’importance à de tels propos, M. Tanguay n’hésite pas à dire que les petites communautés «sont un peu tannées de se faire regarder de haut et de se faire dire quoi faire par les gens de la ville». Il rappelle, au contraire, qu’il existe une forte tendance chez les jeunes de sortir de la ville et de venir s’établir en région où ils retrouvent de grands espaces, une meilleure qualité de vie ainsi qu’un lieu sécuritaire pour eux et leurs enfants.
Sa municipalité étant elle aussi citée parmi les exemples publiés, la mairesse de Saint-Magloire, Marielle Lemieux, insiste sur le fait que sa municipalité n’a pas l’intention de baisser les bras. «On se prépare pour notre 150e en 2022 et on travaille toujours pour le retour d’une station-service dans notre village. Pas question de fermer chez-nous, on ne lâchera pas.»
Aujourd’hui directrice générale de la MRC des Etchemins, Dominique Vien estime elle aussi que les constats de M. Bernier doivent être pris dans leur contexte. «Les données sont sûrement exactes et on le sait depuis longtemps qu’il y a une dévitalisation. Il faut toutefois y aller avec un certain recul et nuancer tout ça», insiste-t-elle rappelant avoir travaillé sur la mise en place du Plan de relance de la MRC alors qu’elle était députée de Bellechasse.
L’actuelle députée de la circonscription, Stéphanie Lachance, a des réflexions similaires. «Nous sommes en mode travail, développement et croissance. Nous venons d’ajouter 1,6 M$ au plan de relance et on mijote toujours une possible antenne d’Investissement-Québec. La relance de la région est beaucoup plus que le plan lui-même. Le gouvernement offre aussi des incitatifs à la pénurie de main-d’œuvre, l’intégration des immigrants et aux jeunes familles. Ça me donne confiance ce qui se passe, au contraire.»