Autobus scolaires électriques: un défi pour les transporteurs en région

SAINTE-JUSTINE. Tout récemment, la députée de Bellechasse Stéphanie Lachance annonçait que le gouvernement du Québec versait des subventions totalisant 375 000 $ à deux transporteurs scolaires de la région pour l’achat de trois autobus scolaires électriques. Deux de ceux-ci devaient être acquis par Autobus Jules Paré & Fils de Honfleur et l’autre par Autobus Lapointe de Sainte-Justine.

Rencontré récemment à son garage de Sainte-Justine, Normand Lapointe mentionnait que, de fait, c’est une somme de 150 000 $ que son entreprise recevra pour l’acquisition de ce premier autobus électrique qui a été commandé, en début d’année 2022, auprès de la compagnie Lion Électrique de Saint-Jérôme. Celui-ci a été livré au cours du printemps et a officiellement pris la route dans la première semaine de mai.

Deux autres autobus devraient s’ajouter au cours de la prochaine année, le programme gouvernemental prévoyant toutefois que pour ceux-ci, la subvention passera de 150 à 125 000 $ par autobus.

Une obligation

Propriétaire d’une vingtaine d’autobus scolaires, M. Lapointe rappelle que les transporteurs scolaires comme lui n’ont plus le droit, depuis le 1er novembre 2021, d’immatriculer des autobus scolaires neufs à combustion. « Pour le commercial, on a toujours le droit, mais si on veut immatriculer un nouvel autobus scolaire fonctionnant au diesel, il doit être usagé et avoir déjà été immatriculé au Québec, pas dans une autre province », mentionne-t-il.

Le programme gouvernemental actuel, qui s’inscrit dans une volonté d’électrification des transports, est d’une durée de trois ans et prévoit des subventions régressives de 150 000 $, 125 000 $ et 100 000 $ par année pour chaque autobus électrique neuf.

« C’est la même chose qu’avec les automobiles électriques. Ils baissent la subvention graduellement, mais le prix du véhicule continue d’augmenter. Ça va devenir un enjeu pour nous », indique Catherine Lapointe, fille du fondateur et coactionnaire de l’entreprise.

Conjoint de cette dernière et actionnaire, lui aussi, de l’entreprise familiale, Janic Goudreau précise que la durée de vie d’un autobus scolaire au diesel est de 12 ans et qu’en ce sens, ceux-ci disparaîtront complètement des routes québécoises en 2035, année à partir de laquelle l’achat de véhicules neufs à essence sera interdit au Québec.

Beaucoup d’adaptation

Le clan Lapointe mentionne que toutes ces nouvelles règles nécessitent des adaptations de la part des transporteurs scolaires. En plus de se familiariser avec le fonctionnement de tels véhicules, l’installation d’une station complète de recharge électrique derrière le garage actuel sera nécessaire, avec suffisamment de bornes pour charger plusieurs véhicules en même temps dans le futur.

« Actuellement, nous avons une borne portative et on aura éventuellement besoin de 13 bornes juste ici à Sainte-Justine et ça ne comprend pas Saint-Fabien, Sainte-Lucie, Lac-Frontière et Saint-Zacharie, des territoires que nous desservons également. Comment on va s’organiser là-bas quand nous serons rendus là, je ne sais pas », poursuit M. Lapointe en précisant que pour Sainte-Justine seulement, l’aménagement d’un tel système nécessitera des investissements totalisant 600 000 $, somme qui ne comprend pas l’achat d’une parcelle de terrain de 150 pieds de profondeur, derrière le garage actuel, pour la réalisation de ce projet.

« Avec le premier bus et toute cette installation, on frise le million de dollars en investissements. L’installation électrique est subventionnée à 75 %, heureusement, mais en fin de compte y a toujours quelqu’un qui paie pour cela », poursuit le transporteur.

Catherine ajoute que le premier véhicule coûtait 320 000 $. En enlevant la subvention de 150 000 $, ça laisse un investissement de 170 000 $ pour l’entreprise, ce qui est beaucoup plus cher qu’un véhicule fonctionnant au diesel, même une fois la subvention appliquée.

« Un autobus électrique coûte trois fois plus cher qu’un autobus au diesel. On passe de 120 000 $ à 320 000 $ et même 345 000 $ pour le dernier qu’on vient de commander », précise-t-elle.

Impact sur les sorties scolaires dans le futur ?

Avec des batteries n’offrant qu’une autonomie de 140 km pour le moment, Normand et Catherine Lapointe précisent qu’un autre problème pourrait se pointer, à moyen et long termes, si la technologie ne s’améliore pas à ce niveau.

« D’ici les cinq prochaines années, on n’aura pas trop de problèmes, mais par la suite, toutes les sorties parascolaires risquent d’être difficiles ou impossibles à réaliser, notamment à Québec, car c’est à 100 km et plus pour un aller seulement, que ça prend six heures pour charger la batterie d’un autobus et qu’on ne passe jamais six heures au même endroit. Si on va au Village des sports, par exemple, et qu’il y a 30 autobus, y aura-t-il 30 bornes de recharge ? Si celles qui sont sur place sont prises, comment fait-on pour recharger notre autobus ? », s’interroge M. Lapointe qui mentionne donc que toute sortie scolaire qui excèdera l’autonomie du véhicule, ou tout près, sera impossible pour cette raison.

Des véhicules de réserve

Soulignons que l’entreprise possède actuellement quatre véhicules de réserve pour les sorties scolaires qui sont disponibles en dehors des circuits réguliers. « Au prix que seront rendus les véhicules électriques, on ne pourra possiblement pas avoir quatre véhicules comme cela, à 320 000 $ l’unité, pour quelques sorties par année. Ce seront les jeunes qui seront brimés », déplore Catherine Lapointe.

« Sans le savoir, le gouvernement a possiblement tué cette industrie en électrifiant des transports. Dans les grosses villes comme Québec, Montréal, Sherbrooke, Trois-Rivières et autres, il y a 80 pour cent du parc d’autobus qui peut être électrifié sans problème, car tout se trouve dans un rayon assez limité. Ici, ce n’est pas la même chose. Faire deux voyages aller-retour par jour entre Saint-Magloire et Sainte-Justine avec un autobus électrique, ce n’est pas évident. J’ai des autobus qui parcourent 300 km par jour ici et avec 140 km d’autonomie, ça ne sera pas évident non plus », précise M. Lapointe.

Bris de services potentiel

Normand et Catherine Lapointe croient par ailleurs que le jour où le parc d’autobus scolaire sera entièrement électrique, des bris de service pourraient également survenir en cas de panne de courant, surtout la nuit, car les batteries des autobus pourraient ne pas être suffisamment rechargées pour effectuer leur service.

« Ils auraient pu exiger un 25 % du parc d’autobus scolaires fonctionnant à l’électricité au lieu de 100 %. Les élus qui prennent les décisions sont déconnectés de la réalité sur le terrain. Nous sommes un peu déçus de la situation, en général, car on avait un système qui était performant jusqu’ici », poursuit M. Lapointe.

« Ils n’ont pas pensé à construire des autobus hybrides, cela aurait aussi pu être une solution. On a investi 30 000 $ de plus pour ajouter 50 km d’autonomie au troisième autobus qui est en commande. Il y a des gens qui vont devoir payer pour tout cela en fin de compte, car nous demeurons des entreprises privées », rappelle enfin Catherine Lapointe.