Travailleurs étrangers: Rotobec dénonce les nouvelles règles fédérales

INDUSTRIE. Les nouvelles règles fédérales en matière de travailleurs étrangers temporaires ainsi que la fin des cours de francisation, pour l’année en cours, représentent des obstacles dont se seraient passées bien des entreprises manufacturières de la région.

Avec 79 employés sur 301 issus de l’immigration œuvrant à son usine de Sainte-Justine, l’entreprise Rotobec dit accepter difficilement les nouvelles règles fédérales qui pourraient la priver, à court et très moyen termes, d’une quarantaine de travailleurs qualifiés et formés, ce qui nuira à ses activités et à la reprise de sa croissance qui s’amorcera en 2025.

Selon ces nouvelles règles annoncées le 26 septembre et qui sont en vigueur depuis le 8 novembre, le ratio de travailleurs étrangers dits « à bas salaire » ne devra pas dépasser 10 % de la main-d’œuvre au sein de nombreuses entreprises, incluant les traitements simplifiés. Le renouvellement des permis de travail sera d’une durée d’un an seulement, au lieu de trois, et cette nouvelle règle s’appliquera à tous les employés touchant 32,96 $ de l’heure ou moins.

Trois secteurs, soit ceux de la construction, de la santé et de la transformation agroalimentaire ne seront pas concernés par cette récente décision, le ratio étant maintenu à 20 % à ces endroits.

« Avant le 25 octobre, le plafond salarial pour les employés concernés était de 27,47 $, ce qui était viable pour nous. Puis ils nous ont annoncé celui-ci grimpait à 32,96 $ l’heure à compter du 8 novembre », indique la responsable des ressources humaines chez Rotobec, Cathy Roberge en précisant qu’en 2025, l’entreprise devra renouveler 28 permis de travail fermés venant à échéance, cela pour un an.

Le PDG Julien Veilleux, qui se dit lui aussi très amèrement déçu des nouvelles règles fédérales, souligne que si certains effets se feront sentir en 2025, c’est davantage en 2026 que l’on verra les effets néfastes de ces nouvelles mesures, alors que l’ensemble de ces permis de travail, ou presque, devra être renouvelé.

« J’aurai alors le droit de garder 30 travailleurs sur 79. Qui je choirai ? Ce n’est pas gérable et ça ne le sera pas davantage à ce moment », déplore-t-il en rappelant, tout comme Mme Roberge, que ces travailleurs ont déjà fait d’énormes sacrifices en vendant tout ce qu’ils avaient dans leur pays pour changer de vie et venir s’établir ici, à la demande de l’entreprise et du Canada lui-même.

« C’est tout le secteur manufacturier de la région, pas seulement nous, qui va écoper. La croissance de plusieurs de nos entreprises est menacée. On va assister à une importante baisse de la main-d’œuvre dans la région, c’est certain », mentionne-t-il également.

Fierté et fragilité

Julien Veilleux souligne que 32 pour cent des travailleurs immigrants temporaires qu’ils ont embauchés jusqu’ici avaient réussi leur francisation et ainsi obtenu leur résidence ou citoyenneté canadienne, ce qui est un objet de fierté pour l’entreprise.

« Nos employés ont appris le français, se sont installés dans la région et apporté leur famille ici, ont inscrit leurs enfants à l’école et permis à ceux-ci de s’intégrer. Ils ont tout fait ce qu’on leur a demandé et là, on leur dit que ça ne marche plus, qu’ils devront possiblement partir. Ce n’est pas humain », poursuit M. Veilleux qui dit craindre, dans le futur, bien des drames humains du fait que plusieurs de ces employés pourraient devoir partir, eux qui ont emprunté pour acheter des maisons, du mobilier ou des automobiles, par exemple.

Cathy Roberge dit avoir organisé une rencontre avec toutes les personnes qui n’avaient pas encore leur CSQ (certificat de sélection du Québec) et qui embarqueront, malgré eux, dans le ratio établi par le fédéral.

« On ne peut pas leur promettre, pour le moment, que l’on va sauver tout le monde, car on n’a pas beaucoup d’information à leur donner. On ne comprend pas cette décision radicale et unilatérale du gouvernement. Notre objectif demeure le même, soir de sécuriser les gens ici, car leur avenir nous tient à cœur. »

Cathy Roberge et Julien Veilleux se disent conscients qu’il y a assurément un problème d’immigration au Canada, avec une crise du logement, rappelant que les réalités des grandes villes comme Montréal, Toronto ou Vancouver ne sont pas les mêmes que celles des régions comme la nôtre. 

Peur de perdre leur place

Trois des employés concernés par la question, Jairo Jimenez, Gustavo Umana et Andres Garzon, disent eux aussi trouver la situation difficile et inquiétante du fait que plusieurs employés ayant moins d’ancienneté qu’eux, et dont les permis viendront à terme en 2026 ou 2027, pourraient rester alors qu’eux risquent de partir, ce qui les rend très inquiets.

Cathy Roberge précise d’ailleurs qu’une quinzaine de travailleurs costaricains et colombiens, ayant des permis de travails valides jusqu’en 2026 ou 2027, et qui sont toujours dans leur pays, devront attendre avant de venir ici, l’entreprise préférant idéalement garder ceux qui sont déjà sur place.

Discussions politiques et des appuis

Julien Veilleux dit avoir eu des discussions sur le sujet avec la députée fédérale Dominique Vien, mais également avec le député provincial Luc Provençal qui aurait les mains liées dans le dossier de la formation, même s’il leur accorde son appui.

« Les Conservateurs n’ont pas été capables de nous donner de position, car leur chef n’a pas encore pris la parole sur le sujet. Mme Vien m’a dit qu’elle entendait mon point, qu’elle comprenait et qu’elle me reviendrait sur ce sujet. Ils sont conscients qu’il y a un problème d’immigration et qu’il faut le régler, mais ils ne savent pas comment ils vont le faire, qu’ils en discuteront en caucus. Il faut en parler pour que ça bouge. Ce n’est pas logique, autant pour l’entreprise que pour les individus concernés. »

Il se réjouit que divers lobbys soient de leur côté, que ce soit le conseil du patronat du Québec, Manufacturiers exportateurs Québec et autres. « Même le syndicat des Métallos et la FTQ sont de notre côté. Personne ne comprend vraiment ce qui se passe dans ce dossier. Tout le monde est de notre bord, mais le gouvernement est contre nous et c’est déplorable », d’affirmer le dirigeant.

Croissance au sud de la frontière ?

Après une année difficile, Julien Veilleux mentionne que Rotobec retournera peu à peu en mode croissance au cours des deux prochaines années, période au terme de laquelle l’entreprise devrait embaucher entre 400 et 425 personnes. Le PDG craint cependant les effets de la nouvelle règlementation fédérale qui risque de nuire à ce développement en terre etcheminoise.

« Avec les nouveaux ratios, il sera difficile d’atteindre ces objectifs de croissance. Est-ce que cela nous obligera à nous tourner vers les États-Unis où nous avons deux usines et où on pourrait en ajouter une troisième ? Ce n’est pas ce que l’on souhaite », mentionne-t-il en rappelant que Rotobec a à sa disposition, du moins pour le moment, la main-d’œuvre et l’expertise nécessaires pour assurer cette croissance à Sainte-Justine, incluant les travailleurs étrangers temporaires.